Power watch


1400 Points de Suture « Baisse les yeux » LP (Noway Boicott/Mon Cul c’est du Tofu/Commence par maman/Label Brique/Roue Libre)
Le début de ce premier LP du super groupe de la Grande Triple Alliance de l’Est m’a fait penser au début d’un morceau de Joeystarr avec Expression Direkt. Un truc à base 8°6. Mais là il faudrait plutôt viser 8°666. On peut gager que Poporc et Unas on fait un « J’irai dormir chez vous » avec Satan. De retour de l’Enfer avec des jolis dépliants, ils semblent légèrement échaudés par l’expérience. Le groupe se lance dans une sorte de death-noise superbement malsain, le son tournoie comme des rapaces mutants prêts à fondre sur d’innocents poussins. Nul besoin ici de maîtriser un quelconque langage death voire METAL car 1400 Points de Suture garde surtout de ces « genres » musicaux, leur atmosphère, leur construction, leur code noir et en joue comme on joue avec le feu. Il surnage même dans cette rivière de mal des saillies noise ou même à l’occasion (en fin de face A) le chant de Barry White sataniste d’Oso El Roto. Un disque de fière et pleine dépravitude, absolument totalement irrémédiablement indispensable.

Scorpion Violente « The Rapist » 12″ (Teenage Menopause)
Des rivières de feu, des éclairs qui claquent, des nuages noires qui coagulent comme leurs cousins intergalactiques et un imprudent bloqué dans un bolide incontrôlable filant dans les entrailles d’une vallée sans fin….Quand le ciel s’ouvre la voix est étouffée, elle provient d’un bailloné au fond du coffre. L’imprudent tente même une improbable reprise de « Strychnine » pour tenter d’amadouer ses ravisseurs. Mais ceux-ci, impassibles, les traits saillants, le regard de plomb, poursuivent leur course infernale. Une pluie acide s’abat sur la plaine, enième torture naturelle pour l’imprudent qui en soupire des implorations aussi mystiques qu’inaudibles. Il plonge son visage dans la moquette déliquescente du véhicule volé. La ligne blanche qu’il entrevoit à travers les interstices noue dans sa gorge les premiers lacets vers la mort clinique. Le silence de ses organes lui glace le sang. Le défilement semble sans fin et dans ce continuum il attend en vain l’apparition des images de sa vie. Mais rien ne vient. Seulement ce vide brute, étourdissant, jusqu’à la perte de connaissance. Et ce « Greasy Smile » chez l’un de ses ravisseurs, quelque part entre ici et l’au-delà. « Tonight », répète t-il maintenant. Le soir est-il venu, est-ce la nuit finale? Il lui semble encore entendre des battements dans les entrailles de sa poitrine, puis une ballade dégoulinante du King, tombant des cieux dans une blancheur aveuglante.

Èl G « Mil Pluton » (Hundebiss/Alter)
Le nom de cet album a de quoi intriguer: l’association d’une céréale largement utilisée en Afrique (à moins que ce ne soit le code générique pour les aéroports de Milan) et d’une planète naine violemment boutée hors du système solaire (à moins que ce ne soit le Dieu des Enfers chez les romains) est en effet inédite. Mais pour qui connaît un peu le parcours d’Èl G, brillant musicien touche-à-tout installé à Bruxelles, il y a là une certaine logique. Moitié du duo Opéra Mort et membre du trio Reines d’Angleterre avec le célèbre Ghedalia Thazartès, l’homme aime brouiller les pistes, de somptueuses errances folk acides (l’album « Tout Ploie » sur Kraak) en tour-de-force schizophrène et fantastiquement créatif (l’album « Capitaine Présent 5 » sur Nashazphone) jusqu’aux expérimentations électroniques tangentielles que nous tentons de décrypter sur « Mil Pluton ».
Empilant les couches sonores, Èl G construit d’étonnants morceaux-météorites sur la base de réflexes percussifs, de répétitions, de mille voix hallucinatoires croisant les trajectoires imprévisibles de ces étranges objets de l’imaginaire qui semblent filer, chacun à leur rythme, dans un coin de cosmos. Puisant subtilement dans la nuit des temps des musiques électroniques, croisant à l’occasion musique concrète et coups de chaud technoïdes de night-clubs perdus dans la campagne froide de l’univers, « Mil Pluton » installe chez l’auditeur une indicible sensation de flottement stellaire qu’aucune parade stratosphérique dopée à la taurine ne pourra jamais égaler. On rejoint directement cette masse innommable de corps en perdition dans le grand vide galactique jusqu’à échouer avec « Pol Culte » sur cette bonne vieille planète Mars sous l’objectif interloqué d’un robot Curiosity en manque de découvertes. Déchet humain ou entité extra-terrestre, la question n’est plus là.
« Four Acts Amazon », pièce maîtresse mijotée dans un grand saladier en forme de poubelle de la NASA avec l’aide de quelques pointures comme Bill Kouligas (boss du label PAN), TG Gondard et Tomutonttu achève de nous couler dans une voie lactée totalement psychotonique, sorte d’inévitable rivière du non-retour. Les lasers claquent mais sont vite suivis d’échos de sirènes perdues dans une jungle urbaine terrienne qui semble soudain tellement improbable. On croît même reconnaître le droïde C-3PO en train d’essayer de se rebrancher. Des incantations l’auront vite éloigné, immédiatement suivies par un foutraque mélange de rythmiques proto-industrielles, bourdonnements synthétiques et déclamations dans des langues non-identifiées, tantôt enjouées et suraigües, tantôt calmes et posées. Au final avec ce disque magistral, Èl G construit rien de moins qu’un nouveau langage, aux frontières de notre imaginaire, titillant l’inconnu avec la fièvre des grands explorateurs.

The Pheromoans « Does this guy stack up? » LP (Upset! The Rhythm)
Des nouvelles de la mauvaise troupe, diamant brut de la Perfide Albion. Là ils sont encore sur un nouveau label et ils semblent avoir eu un peu de budget pour  l’enregistrement. Le son sur la face A est particulièrement impressionnant pour de tels perfectionnistes du déséquilibre. On se tape un bon « The Final Sugar Rush » d’emblée comme pour assurer le choc à l’organisme, à l’image de ces guitares qu’on sent toutes excitées. La mauvaise troupe s’est élargie. Il y a maintenant un gars à l’orgue et il fait des merveilles. Il apporte une densité et cet étouffement agile qui met en relief autant le chant et les textes de Russell que la finesse des parties de guitare ou des lignes de basse. On en vient à cette sorte de ballade branque, « Power Watch », dont le côté quasi-nuptial témoigne d’un engagement longue durée pour tout ce qui provoque les zigzags de l’âme dilettante. On se « Grab a chair » tranquille sur la face B pour savourer cet auto-proclamé « mid-saturday rock ». Ralentissant soudain le tempo, le groupe se fraye un chemin à coup de guitare claire dans des infinis de poésie et d’auto-dérision. On ne peut qu’applaudir à nouveau des deux oreilles.

Culture Kids « s/t » LP (Make A Mess)
Le label Make A Mess de San Francisco nous balance une nouvelle petite bombe après le disque de Rank/Xerox l’an passé. Il s’agit maintenant du premier album du groupe punk/hardcore Culture Kids.Oui du punk/hardcore pied au plancher. Et avec très peu de disto. Ce qui n’est jamais facile à bien faire. Il faut éviter la linéarité, créer des poches d’énergie, des rebonds, maintenir l’agressivité à flot sur la longueur d’un disque. Les Culture Kids passent tous ces obstacles avec une incroyable facilité, à l’image du splendide « Murder for sanity » qui clôt une face A expédiée avec hargne en une poignée de minutes. La face B démontre que le groupe sait aussi faire mine de ralentir le tempo ou trouver des breaks aussi rapides qu’efficaces. Et puis il faut parler du chant. Les cordes vocales du chanteur sont salement malmenées, le bougre gueule comme une bête mais ne surjoue pas la rebellion adolescente et se pose avec tact sur des compos bien valorisées par le mix. Sans aucun doute un des meilleurs disques punk de l’année, ça défonce.

Richard Papiercuts « A sudden shift » LP (Pena Records)
Richard Papiercuts est un projet new-yorkais créé par un ancien membre des Chinese Restaurants, fabuleux groupe auteur de deux 45 tours sur S-S Records, dans la veine du meilleur de Billy Bao. Moins abrupte mais tout aussi bon, ce « Sudden Shift » suinte la crasse des ruelles de la Grosse Pomme fin seventies et les soirées titubantes en chauffe de hard liquor, à s’étaler sur la brique noire. On pense autant à Richard Hell qu’à Arto Lindsay ou beaucoup d’autres, l’époque était définitivement chaudasse. Il y a un vrai putain de songwriting sans nostalgie mais avec le sang des aînés dans l’encrier. Papiercuts ne fait pas que des cocottes en papier, il écrit et il écrit bien. Et c’est finalement rare de tomber sur un type qui sait faire ça, tout en gardant la rugosité de son précédent groupe. Un paquet de chansons de caractère, de plus en plus goûtues à chaque écoute. A découvrir en urgence incendie.

Constant Mongrel « Everything goes wrong » LP (RIP Society/80 81 Records)
La scène DIY australienne continue d’être en pleine ébullition et ce premier LP de Constant Mongrel en est une preuve supplémentaire. L’un des membres fondateurs du groupe, Tom Ridgewell, joue aussi dans Woolen Kits dont nous avons déjà parlé par ici. Constant Mongrel a un son bien différent, du moins aujourd’hui car à l’origine c’était un duo. Comme beaucoup de formations actuelles nées la tête en bas, elle a beaucoup évolué au fil des rencontres, des concerts, des envies. Cette morphologie en perpétuelle évolution est aussi une caractéristique de la vivacité de la scène australienne. Pour en revenir au disque, ce « Everything goes wrong » est un brulôt mi-punk mi-post, secoué de lyrics d’asocial et de remontées psychédélisantes à la Feeling of Love. Il y a des coups de poing dans la foule comme « Reflex », des chienneries comme « Four Legs » et parfois une réjouissante frénésie saxophonique. Sans oublier une reprise d’un groupe culte (X_X). Au final un très bon LP qui taille une belle place au groupe aux côtés de pointures comme UV Race.

Puffy Areolas « 1982: Dishonorable Discharge » LP (Hozac)
Voilà un de ces groupes qui ne semblent pouvoir venir que du fin fond du Midwest américain. Un dangeureux gang de têtes brûlées balançant une masse sonore incandescente avec la violence d’un volcan sicilien. Ce type de raoût sonique n’est pas à la portée de tous les groupes, il faut être prêt à mettre ses boyaux sur la table, à cracher dessus et à y foutre le feu. Les rythmiques sont répétitives, les couches de guitare et de saxo s’étalent comme de profondes écorchures et s’empilent jusqu’à créer une sorte de buzzzz psychédélique, un perpétuel bourdonnement jouissif et déviant qui donne envie de tout péter. On ne peut, ici et maintenant, qu’IMAGINER ce que doit être ce groupe sur scène. Le ciel nous en tombera sur la tête. Vivement qu’ils arrivent.

Plus Instruments « Februari – April ’81 » LP (Poutre Apparente)
Une nouvelle très bonne idée du label parisien Poutre Apparente que cette réédition du groupe post-punk Plus Instruments fondé par la néerlandaise Trus de Groot. Quand cette dernière était à New-York au début de l’année 1981, elle se branche avec le batteur de Rhys Chatam – rencontré deux mois plus tôt à Eindhoven – et avec Lee Ranaldo qui fricotait alors avec Glenn Branca. Minimaliste mais débordant de cet enthousiasme irremplaçable des débuts, le trio fait des merveilles en bricolant une proto-new wave bardée de bizarreries électroniques, de rythmiques folles et de la menace permanente du chaos guitaristique. Le célèbre « Freundschaft » en dit plus que tout et « Rush Hour » est un instru qui arrachera les plus réfractaires à cette joyeuse et remuante tempête DIY. A la fois plus calme et plus expérimentale, la face B est tout aussi captivante.

Pierre & Bastien « Pilule » 7″ (Pouet Schallplatten/Solitude)
Nouveau disque du trio punk à texte le plus percutant de la capitale. « Pilule », texte violemment intime sur la fécondité, renverse la table et fait rimer « stérilité » et « virilité ». Les mots sont des enveloppes aux contenus mystérieux, la musique leur sculpte des formes  et la boîte postale, criblée d’un triple X, une pochette de disque. Pierre & Bastien s’affranchit des idées établies dans les étables de la convenance et fomente des chansons-missives dont la signification est rarement là où on l’attend initialement. Sur la face B, « Chanteur » est un retour introspectif sur une carrière en plein envol et une main tendue à ceux qui hésitent encore entre Francis Cabrel et Terminal Boredom. Le refrain utilise des « la la la la » et le disque semble sauter, du moins sur ma platine. C’est parfait.

2 réflexions au sujet de « Power watch »

  1. C’est toujours un plaisir de lire tes chroniques et de rêver sur l’agenda concert depuis la Réunion… Bonne continuation ++ Olivier

  2. Je note dans cette sélection 1400 Points de Suture et The Pheromoans avec des chroniques sympa du coup comme je découvre le blog, hop dans les bookmark.

    Sinon pour Puffy Areolas j’adore leur premier LP « In The Army 1981 » sorti en 2010 mais j’ai du mal avec le dernier, j’ai pas lâché l’affaire cependant. Concernant la chronique, c’est bien vu de souligner « ne semblent pouvoir venir que du fin fond du Midwest américain » mais il aurait été plus honnête de finir la phrase en précisant que c’est un groupe Espagnol même si cela ne s’entend pas.

    Enfin bon je chipote, sélections intéressantes/intrigantes et bonnes chroniques, continuez comme ça. 🙂

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